sábado, 26 de dezembro de 2009

Allan Dwan ou le cinéma nature

Allan Dwan, né le 3 avril 1885 à Toronto (Canada), est mort le 21 décembre 1981. Après des études d'ingénieur, il construit des lampes à vapeur de mercure, ancêtres du néon. Les studios Essanay font appel à ses services pour faire des essais de lampes pour tourner. Il leur vend des scénarios écrits au collège et c'est comme scénariste qu'il se rend indispensable. Bientôt - à partir de 1909 - il réalise des films à raison de un par jour pendant trois jours par semaine. Si l'on veut savoir ce qu'a fait Allan Dwan, et pour qui il a travaillé, il faut se procurer deux livres: Présence du Cinéma, nº 22-23, automne 1966, et « The last pioneer », long entretien réalisé en 1971 par Peter Bogdanovich (Praeger Film Library).

Si l'on consulte les histoires du Cinéma, il est probable qu'il y sera cité: 1e) pour avoir travaillé avec Griffith à la Triangle Fine Arts; 2e) pour avoir fait des films avec Douglas Fairbanks, dont le célèbre (parce qu'il eut du succès) Robin Hood (1922); 3e) pour avoir réalisé deux films célèbres (idem) à l'époque du parlant: Suez (1938) avec Annabella et Tyrone Power, sur la vie de Ferdinand de Lesseps, et Iwo Jima (1949), avec John Wayne, film dit militariste; 4e) et surtout pour avoir réalisé tellement de films qu'on n'en connaît ni le nombre exact, ni les titres, ni la teneur (il est vrai que cela se limite à la période 1909-1913, et que ce sont des films de une ou deux bobines, c'est-à-dire des courts métrages).

Aujourd'hui il est mieux connu pour être l'un des deux metteurs en scène préférés de Gloria Swanson (l'autre étant De Mille) et pour avoir été le meilleur metteur en scène de Ronald Reagan, ce qui voile d'une légère ombre le paradis de la cinéphilie. On doit en tout cas à Dwan - on le sait moins - la découverte de Lon Chaney qui était son accessoiriste et qu'il dirigera dans plusieurs films, de Ida Lupino, venue accompagner sa mère qui briguait un rôle de jeune fille, et de Rita Cansino qui deviendra Hayworth. Et peut-être lui doit-on aussi l'invention du travelling pour découvrir une rue, dans David Harum (1915).

Cependant il y eut une véritable réestimation de Dwan en France à la fin des années 50: elle concerna surtout ses westerns et ses films d'aventure produits par Republic et par R.K.O., dont certains ne sont jamais sortis en France. Réalisés avec la même équipe technique, souvent les mêmes acteurs, ces films sont de petites productions et se nomment: Angel in Exile, Quatre étranges cavaliers, La Reine de la prairie, Le Mariage est pour demain, Deux rouquines dans la bagarre, River's Edge, Most Dangerous Man Alive etc. Tous ces films ne cherchent apparemment qu'à illustrer les conventions qui leur servent de base. Ce sont ces fameux « petits films » (la règle de Dwan était: « budget and speed, tempo ») qui, pour n'avoir pas d'ambition visible ni n'avoir remporté un immense succès public, n'ont pas eu droit aux honneurs de l'Histoire du Cinéma. Dwan a cessé de tourner à l'époque où le grand cinéma américain décline: Hitchcock, après Marnie, se craquèle, Hawks est frappé d'une modernité désabusée après Rio Bravo, Ford monte vers une grandeur unique et solitaire, tournée vers le passé (Liberty Valance...), Lang essaie de croire en un retour à ses origines, Walsh écrit ou se contente de filmer des chevaux, Tourneur tourne n'importe quoi en Europe (La Bataille de Marathon), Mac Carey attend dans son bureau des commandes qui ne viennent pas, etc. La liste est longue et, sinon funèbre, du moins désolante. Seuls Chaplin et Welles gardent toute leur force: La Comtesse de Hong-Kong et Falstaff sont des films extraordinaires au spectacle desquels nous ne souffrons pas pour leur auteur.

En quoi consiste l'art d'Allan Dwan? Principalement en ceci: qu'il a toujours fait le même cinéma, comme si le reste du cinéma n'évoluait que techniquement et pas dans ses formes. Il s'est adapté au parlant, puis à la couleur, et par ailleurs à tous les genres, de façon tout à fait naturelle. Ce fut avant tout un grand narrateur: même quand les personnages sont un peu pâles, même quand les histoires ont été racontées des dizaines de fois, même si on en connaît le décor et les péripéties. Ce fut aussi un grand poète de l'espace: que l'on revoie ses premiers films muets et ses derniers films en couleurs, on y trouve une exaltation constante de l'espace (assez proche de celle qui animait Keaton). C'est une chose à quoi les historiens du cinéma sont peu sensibles (heureusement, il y a des gens comme Kevin Brownlow), mais raconter une histoire est un art que les films pratiquent plus ou moins bien. Cette tradition de la restitution la plus exacte possible de l'espace est essentiellement américaine (plus qu'hollywoodienne) et est liée au cinéma comique et burlesque (Mack Sennett) et au cinéma mélodramatique et policier: elle est constante chez Griffith, poursuivie dans les comédies de DeMille et de Lubitsch, mais c'est je crois chez Walsh et chez Dwan qu'on en trouve les plus beaux exemples. La capacité de recréer dans l'imagination du spectateur la totalité d'un décor augmente la force du récit. La féérie particulière, et qui remonte à la lanterne magique, qui consiste à plonger le spectateur dans une histoire et à l'empêcher d'en sortir avant le mot « fin », a été étayée par une construction précise et logique des espaces, à partir du fractionnement inévitable du cadrage, avec en corrélation un emploi adéquat des objectifs et de la lumière: cet art, Dwan l'a amené à la perfection. Dans ses derniers films, le sentiment d'harmonie naît de l'application instinctive de règles géométriques secrètes qu'il avait mises au point à l'époque du muet (règles évidentes dans ses films parodiques des années 30 avec les Ritz Brothers ou encore dans Le Masque de fer). Et il sut, trente ans avant Kubrick dans 2001, jouer merveilleusement avec le bord supérieur du cadre (Frontier Marshal).

L'art de Dwan ne cherche pas à bouleverser; il ignore les tensions et provoque un merveilleux état de calme. Les conflits sont, dans ce cinéma, des accidents de la nature humaine. Mais ce serait limiter la poésie particulière de ces films que de l'expliquer par le pacifisme et par le simple goût de la nature chez l'homme Dwan. Il fut sans y penser un classique, mais un classique d'Hollywood. Ce classicisme est aujourd'hui lettre morte, squelette de conventions désuètes. Dwan crut à son contenu parce qu'avec Griffith et quelques autres il l'inventa sans y accorder d'importance. Il laisse des films qui n'élèvent pas la voix. Par goût sincère (« Everybody wants to be God in this business! »). Et parce que ce qui comptait avant tout pour lui, c'était l'histoire: son mouvement et son rythme, et pas ceux du metteur en scène. La naïveté est son génie mais quand un de ses films est niais il faut savoir que le script qu'on lui remettait était insauvable. Il rêvait à la fin de sa vie d'ouvrir une clinique de scénarios... Même ses films les plus conventionnels contiennent des trouvailles de découpage, font preuve d'un emploi imaginatif des décors, ce qui n'est pas le cas dans les mauvais films de Walsh. Comme Jacques Tourneur, Dwan avait un secret de fabrication qui est au cœur du cinéma et qui s'est perdu. Pas parce que le cinéma aujourd'hui n'en est pas digne, mais parce qu'un secret de fabrication, c'est intransmissible. Dwan est au cinéma ce que Charles Ives est à la musique: un inventeur sans récompenses.

Jean-Claude Biette

Cahiers du Cinéma n° 332, fevereiro 1982, pp. 20-22

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