terça-feira, 30 de outubro de 2007

GRANDEUR ET SOLITUDE D'UNE ÉCONOMIE CINÉMATOGRAPHIQUE :

l'exemple de la Série B à travers Silver Lode
(Quatre étranges cavaliers, Allan Dwan, 1954
)

À Debra Paget et à Arlene Dahl
À Edward Ludwig

Allan Dwan est peut-être le seul cinéaste à avoir réussi avec autant de constance et de force à allier les contraintes économiques et temporelles, le choix limité des décors et des acteurs avec une aussi grande flamboyance formelle et esthétique; le seul à avoir su régulièrement (à la différence des errements d'un Edgar G. Ulmer, par exemple) transformer en moteur de la création des substrats qui doivent beaucoup au hasard et à la chance, au manque de moyens et au pragmatisme (de la production comme de la réalisation).

Pourquoi, dans une fin de carrière somptueuse et déchirante, privilégier Silver Lode? Dwan a réalisé des films avec encore moins de moyens (Restless Breed, 1957) ou encore plus d'âpreté (Angel in Exile, 1948), plus sensuels (Slightly Scarlet, 1956, avec Rhonda Fleming et Arlene Dahl) et plus cruels (The River's Edge, 1957), enjoués (Tennessee's Partner, 1955) ou tragiques et crépusculaires (The Most Dangerous Man Alive, 1962), des films dont l'interprétation est unifiée par la même grâce (The River's Edge avec Debra Paget, Anthony Queen et Ray Milland), hétérogène (Enchanted Island, 1958, avec Dana Andrews et Jane Russell) ou encore dominée par une figure forte (Barbara Stanwyck dans Cattle Queen of Montana, 1954). Pourquoi dès lors privilégier Silver Lode? Pour des raisons à la fois historiques et esthétiques: il s'agit de la première collaboration de Dwan avec une équipe à qui il restera fidèle et qui donnera naissance aux futurs chefs-d'œuvre, devenus comme des mots de passe pour cinéphiles (de Jacques Lourcelles ou Simon Mizrahi à Jean-Claude Biette…) que sont Tennessee's Partner ou Slightly Scarlet. Cette équipe réunit le producteur Benedict Bogeaus, le chef-opérateur John Alton, le décorateur Van Nest Polgese, le compositeur Louis Forbes. Silver Lode concentre en outre très nettement la beauté et l'ampleur de ce geste propre à la série B. La cantonner dès lors à un mode mineursous prétexte d'un manque de moyens est faux et schématique. En un petite space et avec une grande ambition, elle ressaisit, au contraire, des questions essentielles d'ordre à la fois politique, esthétique et existentiel.

Dwan réussit à transfigurer les éléments de base (caractères, couleurs, affects) pour les sublimer, articulant coûte que coûte sur un plan formel un sujet trop ample avec la pauvreté du matériau, et sur un plan ontologique la loi avec le désir. Qu'est-ce qui fonde l'autorité de la loi, comment l'établir, comment l'empêcher d'être subvertie de l'intérieur et comment s'en défendre? Comment vivre dans une société qui fait mine d'accepter l'individu pour mieux ensuite le rejeter? Comment vivre avec une femme, comment la respecter et être respecté, comment la regarder et comment la toucher? Comment représenter ces questions dans une économie contraignante (générique, budgétaire) avec un casting disparate, peu d'argent, peu de temps? À ces interrogations qui régissent tous ses films d'une manière ou d'une autre (celle-ci apparaîtra quelque fois plus appuyée que celle-là: le politique apparaît peu dans The River's Edge, l'affectif est traité de façon moins lyrique dans Sands of Iwo-Jima, 1950), Silver Lode apporte des précisions exemplaires et rayonne tel un emblème dans la filmographie de Dwan; c'est d'ailleurs ce film qu'a choisi Martin Scorsese dans A Personal Journey Through American Movies (1994) pour illustrer l'art de Dwan et les réussites de la série B (avec les films de Boetticher), célébrant cette esthétique de la contrebande.

La série B comme geste politique

Le marshall MacCarthy (Dan Duryea) vient à Silver Lode le jour de la fête de l'indépendance arrêter Ballard (John Payne): il l'accuse d'avoir tué son frère lors d'une partie de poker et d'avoir volé un butin. Ballard, qui a refait sa vie et s'apprêtait à se marier, devra compter sur lui-même, ainsi que sur deux femmes bien faisantes, pour se défendre contre le marshall. Cette requête maquillait une vengeance, McCarthy avait utilisé la médiocrité des habitants et subverti le substrat démocratique.

Dans Silver Lode, l'affrontement entre le bon et le truand se place d'emblée sur un terrain politique: avec la fête du 4 juillet, qui indique la nature allégorique du récit, et le nom du personnage qui oriente la volonté polémique et partisane. Le village symbolise évidemment l'État américain contaminé par la furie maccarthyste. Il permet à Dwan d'analyser le dysfonctionnement de la société démocratique et de démonter chacun de ses rouages. S'y greffent trois contradictions qui se rapportent d'abord aux deux protagonistes, ensuite aux comportements des citoyens, et enfin à l'essence de la loi.

La première contradiction définit la nature de l'opposition entre les deux personnages masculins, Ballard et McCarthy. Le combat entre le bien et le mal est complexe: dans High Noon (Le train sifflera trois fois, Zinnemann, 1952), alors que les villageois sont en proie à la lâcheté, le représentant de la loi est seul pour installer l'ordre. Ici, le symbole maléfique n'est pas situé hors des sphères de la loi: il les a phagocytées. Ballard, installé à Silver Lode depuis deux ans seulement, possède dans la scène initiale la confiance des citoyens qui fait défaut au second, étranger au pays. La situation se retourne très vite: si McCarthy incarne la légitimité de la loi, Ballard est peu à peu décrit comme un individu sans passé, ni mémoire, ni attaches. La zone d'ombre qui recouvre son histoire s'étale, inquiétante et mystérieuse aux yeux des habitants. Le comité de défense qui s'est très tôt constitué est ainsi quasiment dès l'origine désintégré. Les accusations de calomnie s'estompent au profit d'un doute tenace: Ballard, innocent a priori au début du film grâce à son appartenance à la communauté, devient coupable a priori lorsque cette attache perd sa force.

La seconde contradiction altère le comportement des citoyens. Fritz Lang avait montré avec Fury (1936) comment une opinion publique, contaminée par la haine, devient une machine meurtrière, entièrement gouvernée par ses pulsions. Dwan insiste moins sur la pulsion de mort que sur le mécanisme de l'infection, sur la transmission du doute comme un virus qui déchire les apparences et les rites sociaux, révélant la servilité des âmes. L'autre n'a plus à être apprivoisé: la conservation de l'ordre communautaire passe par la destruction de tout ce qui peut être à même de gripper son fonctionnement et de défaire les hiérarchies qu'elle a construites. C'est moins la médiocrité qui importe au cinéaste (option Duvivier) ou les rages réprimées (option Lang) que l'instant de vacillement pendant lequel les hommes se découvrent, laissant le héros tout à sa solitude.

La troisième contradiction n'affecte ni les protagonistes, ni les citoyens, mais les règles qui unissent les hommes entre eux. Dwan décrit comment un seul individu confisque la volonté générale pour exprimer des intérêts particuliers: la disparition de l'intérêt général transforme une construction démocratique en fondement d'un gouvernement despotique et illégitime, sabordant les principes qui avaient été institués, comme l'atteste l'opposition cruelle entre le discours de l'enfant qui proclame d'une voix mécanique la force du ciment national, et les actions réelles des habitants que le film explicitera par la suite. Dwan prend acte de la défaite des pouvoirs et des contrepouvoirs (gouverneur, avocat, juge, propriétaires) qui auraient dû soutenir les volontés républicaines. Cette ambiguïté se reflète aussi et surtout dans l'interprétation des textes qui édictent la loi: à côté du droit vite évoqué figure la Bible qui irrigue l'œuvre à des moments-clés. À l'arrivée de McCarthy, le pasteur se réfère à la parabole bien connue selon laquelle qui est frappé à la joue droite doit tendre la joue gauche; le marshall lui réplique en citant la loi du talion: le Texte permet deux conduites morales possibles, que le film oppose plutôt que d'en montrer les points d'inflexion ou les lieux de tangence. Pire: le rappel dans l'église du commandement « Tu ne tueras point » est vain, ne protégeant ni de latuerie, ni de la falsification des faits à laquelle procède McCarthy.

Ces trois antinomies déploient le régime allégorique d'une œuvre qui ne sert le genre du western que pour mieux proposer une modélisation heuristique des dérives de la démocratie américaine au temps du maccarthysme et dénoncer la trahison de l'idéal américain par ses propres institutions et ses propres représentants. Le génie de Dwan est d'avoir su se servir des contraintes mêmes imposées au film (au niveau des moyens comme des codes) pour accentuer la concision et la sécheresse du mode allégorique, catalysant l'efficace de la démonstration, mettant en tension les codes formels, inventant maintes trouvailles esthétiques.

Économies esthétiques, esthétique de l'économie

Dwan sait en effet réutiliser les contraintes budgétaires à son profit. La logique imposée par la production sert à merveille une esthétique du resserrement, d'un point de vue autant narratif que formel. Le cinéaste renforce la tension dramatique créée par l'arrestation arbitraire d'un homme, la trahison des citoyens qui devaient le défendre et des institutions démocratiques, bafouées, qui auraient dû le sauver. Cette efficacité formelle assèche encore le récit, s'exprimant en trois domaines distincts: le temps, concentré; l'espace, entre saturation et isolement; le plan, toujours surprenant, avec variations et multiples inventions.

Comment allier la nécessité d'un temps de tournage limité à une conduite du récit qui n'a pas le droit de ralentir? Comment convertir ces contraintes en principes esthétiques? D'une part, il établit un climat tragique, fondé sur la règle des trois unités (temps, espace, action), ici presque respectée. Ballard, qui n'a en effet que deux heures pour prouver son innocence, doit se hâter d'un point de la cité à un autre, explorant chacun de ses endroits stratégiques: église, tribunal, saloon, local télégraphique, grande ferme légèrement excentrée. C'est moins la disposition de ces lieux entre eux qui importe que leur balayage systématique, esquissant une topographie du pouvoir et de l'autorité. D'autre part, cette rapidité rejaillit sur la vigueur du récit, qui place des informations en une scène, en une phrase. La télévision dans Slightly Scarlet ou le journal dans The Most Dangerous Man Alive savent entraîner un allant de l'action: ils réduisent certains plans au strict minimum narratif et accélèrent la vitesse d'exposition; ici c'est la rumeur et la polyphonie des villageois qui installent cette rapidité. Les visites se succèdent abruptement (d'abord au juge, puis du juge à Ballard), les scènes sont réduites au minimum, ne comportant que l'information nécessaire à la conduite du récit avec une grande sécheresse formelle (chez le télégraphiste, trois plans, deux axes, avec réduction du champ la seconde fois pour transformer la discussion en une joute verbale entre Ballard et McCarthy). Même l'argent participe à cet engendrement de flux: parler, c'est acheter; ce n'est pas tant une critique de l'économique qu'un moyen de dépouiller l'action de ses oripeaux.

Cette réduction du temps s'accompagne d'un jeu subtil sur l'espace, qui oscille entre deux postulats opposés, la saturation et l'isolement: ils libèrent une respiration au cœur du film qui lui permet d'alterner scènes intimistes et scènes de foules, fureur publique et tourments privés, rage et sensibilité. Ainsi, grâce aux figurants, Allan Dwan parvient à créer une impression factice de débordement. Il s'agit ici d'en utiliser le moins possible. En effet, ils coûtent cher. Le cinéaste ne peut en utiliser qu'un faible nombre, qu'il doit réemployer: Dwan doit également faire en sorte que le spectateur ne puisse pas retenir les visages des figurants. Par ailleurs, la direction d'une foule réclame beaucoup trop de temps et de patience. Le cinéaste doit masquer ces contraintes tout en créant un sentiment de débordement et d'excès. Lors de l'ouverture, lorsque les quatre étranges cavaliers défilent devant quelques femmes puis devant un groupe d'hommes, la foule semble contraindre le cadre à s'élargir, à se dilater, créant une impression d'étroitesse et d'exiguïté. Elle participe d'un mouvement d'amplification qui étreint le film. Les points de vue sont subtilement modulés, la tonalité des voix est réagencée, les rumeurs alors s'étalent, progressent, s'émancipent des bouches d'où elles sont sorties. Dans la grange, par exemple, trois personnages inconnus défendent devant Ballard trois idées différentes (le massacre, la confiance, le soutien). Une parole, qui représente exactement ce qu'est par essence une opinion publique, se met à proliférer, sans ancrage déterminé (le corps des acteurs), et sa diversité compte davantage que son bien-fondé ou sa pertinence. À un groupe se nourrissant d'individus anonymes, Dwan oppose des scènes à deux ou trois personnages, aux tons dramatiques, mélodramatiques ou tragiques, comme celles qui réunissent Rose et Ballard, ou les deux mêmes et le père de Rose. Entre le père, la fille et le futur mari, Dwan privilégie une construction géométrique qui préfigure les triangles de Slightly Scarlet (entre Ted De Corsia, John Payne et Arlene Dahl ou entre Payne, Dahl et Fleming). Elle parvient à apurer le plan, lieu de croisement de lignes idéales. La tonalité est en revanche particulièrement âpre lors des échanges entre John Payne et Dan Duryea. Cette alternance entre des plans bâtis sur des principes opposés créent une diastole et une systole, aération et étouffement, facilitant l'immersion du spectateur dans le film. Mais les contraintes économiques n'influent pas uniquement sur la représentation spatiale et temporelle; elles excitent même l'imagination du cinéaste, obligeant à des inventions figuratives, aussi précises que poétiques.

Les trouvailles font feu de tout bois. Les changements d'échelle y participent: du gros plan attaché aux affects des personnages au plan américain dans lequel Ballard devient invisible, de la taille d'un point, seule figure géométrique qui lui assure la paix; les lumières sont soumises à une discrète bipartition entre les espaces plongés dans l'obscurité, privés et bienveillants, et les lieux éclairés, publics et mal-veillants, qui le mettent à la merci de la vindicte populaire; les mouvements de caméra sont emportés par le mouvement de la fuite, comme l'atteste le fameux travelling latéral qui suit Ballard derrière les façades des maisons, réinventant les lieux, comme la chambre de la fille de joie, révélant par un panoramique de bas en haut et une contre-plongée la cache au-dessus de la penderie. S'y joint une direction appropriée des comédiens, qui renforce leurs caractéristiques de jeu pour les sublimer: John Payne, le corps raide comme granitique, minéral, un peu moins ambigu que dans les autres films de Dwan, fait de son visage une zone mate et inexpressive, Dan Duryea surjoue le rôle de l'ordure, tous ses sentiments se lisant immédiatement par ses yeux (ce que remarquent les enfants dès la scène liminaire), comme dans un film muet. Tous deux donnent ainsi corps à des personnages allégoriques, facilitant au maximum une lecture politique du film. La trouvaille la plus étrange a lieu dans la seconde partie du film: McCarthy fouille l'appartement de la fille de joie sous le refrain d'une boîte à musique. Les sons sont assourdis et contrastent curieusement avec les arrangements de Louis Forbes, installant une petite fêlure qui renforce le climat oppressant. La violence, voire le viol, rôdent tant le dialogue entre l'homme et la femme vibre d'une atmosphère sexuelle; peut-être même, pourquoi pas, George Romero s'en souviendra-t-il au début de La Nuit des Morts-vivants (1969), car les zombis ne commenceront à attaquer que lorsqu'une petite boîte arrêtera de retentir. Le plus remarquable ne réside pourtant sans doute pas dans la manière (unique) avec laquelle Dwan réutilise ces contraintes sans les pervertir, pour les anoblir. Dwan se plie toujours à la loi du genre comme ses héros respectent la loi de l'état: ainsi dans Tennessee's Partner, même dans une population possédée par la fièvre de l'or, la Duchesse (Paget) voudra que Tennessee (Payne) se rende au sheriff. Il réside plutôt dans l'orchestration de ces figures avec une thématique très personnelle, servie par le politique sans s'y dissoudre, transfigurée par l'esthétique sans se limiter à un simple jeu formaliste.

Flamboyance de la solitude

Les films de Dwan possèdent tous une portée initiatique, empruntant leur structure moins au rêve (à l'exception peut-être de Slightly Scarlet) qu'au conte avec sa morphologie classique, combinant son couple d'adjuvants à un cortège d'opposants, une incarnation légitime de la loi à ceux qui la transgressent, les blessures aux victoires. Si le contexte idéologique ici est net, Dwan, quelles que soient les contingences politiques ou économiques, raconte inlassablement la même histoire aux reflets légendaires, celle d'un individu seul, exclu de la communauté ou ne voulant s'y fondre, qui doit combattre pour sauver et transfigurer sa solitude. C'est ainsi que les films racontent souvent l'union de deux solitaires (le mariage de Payne et Paget clôturant Tennessee's Partner; celui de Paget et Queen amorçant The River's Edge). Plus que son efficacité narrative, c'est son rôle structurel qui importe, permettant, comme l'a remarqué Jacques Lourcelles, de « rendre les spectateurs pareils à des enfants » [1]. L'innocence perdue des citoyens des films de Dwan, corrompus par la haine ici, affolés par l'or dans d'autres films, permet de réinventer, paradoxalement, la croyance du spectateur en des films qui n'aspirent à rien d'autre qu'à retrouver un substrat mythologique. La pauvreté des moyens permet de créer les images les plus suggestives. Dans cette pourriture ambiante, un souffle renaît. Au sein de formes narratives et cinématographiques a priori mineures, l'ambition d'un récit fondateur et légendaire ressuscite. Les étapes d'un récit importent finalement moins que la transformation du regard du spectateur, reconduit vers l'enfance. Les limitations économiques permettent de créer un univers abrupt et minéral: la précarité budgétaire est transfigurée et permet d'inventer un autre rapport du spectateur à l'image, et de desserrer les carcans du scénario.

La solitude de l'homme sert un récit qui se nourrit d'héroïsme et de marginalité. Elle enrichit une forme cinématographique resserrée jusqu'à l'étouffement, qui retrouve une ambiguïté au sein d'un parcours qui refuse d'être édifiant. Ainsi le héros de Restless Breed « aux yeux des enfants passe pour un archange, aux yeux des adultes pour un sauveur, et aux yeux des représentants de la loi pour un irrégulier et un dissident» [2]. Cette description vaut également pour Ballard. En effet, qui est-il et quel est son passé? Est-il un hors-la-loi ou un repentant, un de nos semblables ou un de nos ennemis? Et qui est le personnage interprété par Debra Paget dans The River's Edge: une garce, une menteuse ou une femme aimante, piégée et se trompant? Cette tension permet de mouvoir le récit, qui hypnotise le spectateur. L'économie agit comme une contrainte (nécessité de concision) et une liberté (tout spectateur doit investir un monde fabuleux et charnel à peine suscité par le récit): dans ses films, Dwan sait varier son cadre, créer une richesse figurative au gré des retournements de situations, au gré surtout des modulations de ses harmoniques. La solitude du personnage (qui correspond aussi à une attitude esthétique et économique) est indissociable de la manière dont Dwan annule les anticipations du spectateur.

Pour ces désenchantés malgré eux, l'enchantement tant recherché est fourni par le personnage féminin auprès de qui ils trouveront refuge et accueil. Les pôles (antinomiques, contradictoires) qui façonnent le récit et la forme des films de Dwan se retrouvent jusque dans la motivation des personnages féminins, souvent reliés au sein d'un couple détonnant: dans Silver Lode on retrouve la fille de bonne famille et la putain, dans Slightly Scarlet la femme respectable et sa sœur névrosée et nymphomane.

Soit c'est grâce à ces femmes que le héros (comme ici) est vainqueur; soit ce sont elles qui agissent, aimantent l'intrigue et cristallisent les points nodaux du récit (exemplairement dans Slightly Scarlet). Elles représentent un enjeu pour deux hommes que tout oppose [3] et fascinent le regard du cinéaste, qui les met constamment en valeur, tant en les dirigeant qu'en sachant exalter leur plastique superbe [4]. Très loin d'être exclusivement des objets passifs d'adoration, elles provoquent la violence de ceux qu'elles excitent involontairement. Coups de poing, humiliations discrètes, tentatives de viols (ici, à l'encontre de la fille de joie dans sa chambre): le catalogue des violences perpétrées à l'encontre des femmes témoigne d'une alliance de la fascination érotique avec des gestes de domination et de soumission. La femme concentre en fait un enjeu esthétique majeur: grâce à son corps et dans la narration, elle donne part à l'insaisissable, elle crée le désir et organise les ressauts du récit. C'est pour elle que se dresse une image et qu'un film s'érige.

Quelle descendance offrir aux films d'Allan Dwan? Existe-t-elle réellement? Il me semble que la seule réelle se loge dans les films de Monte Hellman. Davantage que des films de Budd Boetticher (et en particulier Ride Lonesome, 1959, et The Rise and Fall of Legs Diamond, 1959), qu'évoque légèrement la présence de Warren Oates, The Shooting (1966) ou Ride in the Whirlwind (1966) s'inscrivent dans la lignée politique de Silver Lode, abrupte et métaphysique de Restless Breed. Jean-Claude Biette, il y a déjà six ans lors d'une séance « Trafic » au Jeu de Paume, reliait, de façon étonnante mais à juste titre me semble-t-il, Iguana (1988), le dernier film à ce jour de Monte Hellman [5] à The Most Dangerous Man Alive. Dans ce film, le plus désespéré de Dwan, la quête du héros, fantastique et monstrueuse, sonne le glas d'un mode de production, île formelle et artisanale au milieu de Hollywood, noyée par la venue de la télévision qui s'approprie le rythme, les structures narratives et les exigences économiques de ce qui a été appelé série B. Les écrans y sont omniprésents, rapprochant les figures de leur extinction définitive. Dans Iguana, le personnage qu'une brûlure au visage a rendu étranger à l'humanité, recherche des traces d'altérité dans un monde contaminé par la cruauté, le mal et le viol (seule relation à la femme possible). Cet itinéraire, qui évoque la construction d'un mythe inversé, mélancolique et sans espoir, rapproche ces deux films crépusculaires. Hellman désagrège le schéma narratif, en ne gardant que des trajectoires irréductibles à la psychologie (proches en ce sens des personnages de Samuel Beckett), et suit le personnage principal dans ses errements, dans sa course à la mort. De manière aussi monstrueuse et déchirante que l'est le visage saurien de sa créature (interprétée par Everett McGill), Iguana fait la jonction entre les films d'Allan Dwan et ceux de Michelangelo Antonioni.

Jean-Marie SAMOCKI

1. Dictionnaire du cinéma – tome III: Les films, Robert Laffont, collection Bouquins, 1992, p. 58.
2. Ibidem, p. 1260.
3. Ted De Corsia et John Payne dans Slightly Scarlet, Ray Milland et Anthony Queen dans River's Edge, le gangster et le monstre dans The Most Dangerous Man Alive.
4. Il n'y avait pas à l'époque d'actrices plus attirantes que Debra Paget et Arlene Dahl, aussi girondes que Rhonda Fleming ou Jane Russell, plus déterminées que Barbara Stanwyck.
5. Si on met de côté l'indigne Silent Night, Deadly Night: Better Watch out, part III.

LA VOIX DU REGARD N° 14, automne 2001

terça-feira, 23 de outubro de 2007

quinta-feira, 18 de outubro de 2007

The actor & the aquarium (Bergala/Mourlet)

In 2001, Alain Bergala made a conference called "Sur un art ignore, côté face" (published in "Le Septième Art", 2003), which precisely addresses the issue of the character/actor (the identity between both terms not going without saying) in the centre of the film process. As a starting point, Bergala comments on the article by Mourlet "Sur un art ignore" (Cahiers, 59), particularly on its most famous sentence: "Since cinema is a gaze which is substituted for our own in order to give us a world more in harmony with our desires, it falls on faces, on radiant or bruised but always beautiful bodies, with this glory or this heartbreak which show the same primordial nobility, an elected race that, exhilarated, we recognize as our own, the ultimate progress in life towards the god." Bergala assumes that Godard deliberately falsely attributes to Bazin this sentence in "Contempt", maybe a bit embarrassed by the reference to an "elected race". Anyway, embarrassment or not, Godard, filming those Greek deities whose arms and gazes slice through the air organizing/creating the world, makes an explicit reference to the cinema according to Mourlet, where the actor shall be a god, whose actions and reactions within the set are the key of the mise en scène.

A few years ago, I guess I was mainly intrigued by mise en scène as a sort of struggle against the elements, where the art of the director lies in his capacity to master, to control every inch of the material given to him and to create his own world, "each stone at the right place". Where actors were objects among other objects. I can't analyse my change in view, but, now, I know I like to feel their breath. (It may be that the company of Vecchiali's work helped me so).

Back to Bergala. He tries to introduce another "figurative matrix" (?), which he presents as in opposition to the theory by Mourlet: the "aquarium-shot", where the actors' bodies are plunged into a glass parallelepiped. The main properties of this aquarium are the negation of gravity, the refusal of perspective and the undifferentiation of bodies, with a view to represent the humanity as a community.

All those properties assumed to be in opposition to the mourletian hero, god himself, free to exert his sovereignty over an open space. And the glass wall may introduce a distance between the actor and the spectator that violates the theory of fascination by Mourlet. I shall admit I'm not sure to follow Bergala in his theory... Anyway, aquarium or not, as Bergala admits himself, what is primordial in cinema is its capacity to reproduce human gestures and movements, through the actors. And that's where I stand. It's difficult for me to consider a film where the heart do not lie within the bodies of the actors. The miracle being that, within the space/the instant of one shot, in the smile on a woman face, may arise all the heartbreaks and all the bliss of the world. I need to feel the celluloid trembling under her breath.


Maxime Renaudin

domingo, 14 de outubro de 2007

(...) Longtemps l'objet joua un rôle dans ces moments où l'acteur débordait le contour du personnage. Feuille de papier froissée, téléphone, disque, Preminger s'ingéniait à semer des objets sous les pas de ses personnages pour les éveiller à leur choc, et qu'un empêchement de la matière répondît à l'abstrait de leur itinéraire. Mais l'acteur seul importe, et depuis quelques années nous avons vu ce grand metteur en scène résigner tout ce qui pouvait détourner d'eux l'attention, ne voulant plus enfin que prendre aux sortilèges de la forme la réalitè la moins préméditée, et n'exprimer plus qu'à travers l'acteur le réel par l'artifice, la tension par le repos, la durée par les équilibres les plus transitoires.

Philippe Demonsablon, L'oiseleur inspiré, Présence du Cinéma n° 11, février 1962

segunda-feira, 8 de outubro de 2007

DÉJÀ, JADIS

par Pascal Bonitzer

Ils s'approchèrent donc de la Tortue « fantaisie » qui les regarda venir de ses grands yeux embués de larmes mais d'abord se tint coite.
« Cette jeune personne que voici, dit le Griffon, elle voudrait bien que vous lui racontiez votre histoire, pour sûr. »
« Je vais la lui raconter, répondit, d'une voix caverneuse, la Tortue « fantaisie ». Asseyez-vous, tous deux,
et ne dites pas un mot avant que je n'en aie fini. »
Ils s'assirent donc et, durant quelques minutes, nul ne prit la parole. Alice se dit: « Je ne vois pas comment elle pourra
jamais finir si elle ne commence pas. » Néanmoins elle attendit patiemment.
« Jadis, dit enfin, dans un profond soupir, la Tortue « fantaisie », jadis j'étais une vraie Tortue. » (!)

Une mélancolie profonde émane de L'Etat des choses. Pourtant, nul film, semble-t-il, ne s'est fait aussi facilement, aussi légèrement, voire aussi désinvoltement. Le casting du film est, la circonstance vaut tout de même d'être soulignée, un casting pirate: Wenders s'est purement et simplement servi, à quelques complices et amis supplémentaires près (Bauchau, Fuller, etc.) de l'équipe artistique et même technique - Alekan compris - du film de Raoul Ruiz, Le Territoire, tourné immédiatement avant. En quelque sorte du cinéma ready-made, Le Territoire a été peu vu, c'est le destin malheureusement fréquent des films de Ruiz, toujours en avance de plusieurs films sur les distributeurs et les exploitants. Dans Le Territoire comme dans L'Etat des choses, remarquons-le encore, il est question de survie. Là s'arrêtent les ressemblances. La survie chez Ruiz est un thème poétique, développé dans le risque constant de l'invention cinématographique, de l'invention narrative infinie qui sont la marque singuliére de son cinéma singulier. Raoul Ruiz n'est jamais en peine d'histoires, non plus que d'inventions plastiques; s'il y a bien quelque chose que doit le faire rire, ce sont les lamentations sur le manque d'histoires et la fin du cinéma.

La survie, dans L'Etat des choses, est d'abord littéralement le théme du film-dans-le-film dont l'interruption faute d'argent constitue l'argument de la fiction; ce film-dans-le-film est en effet intitulé, on l'apprend d'entrée de jeu, The Survivors. Si l'on en juge d'aprés les quelques prises sur lesquelles s'ouvrent, en nuit américaine, L'Etat des choses, il n'a pas l'air gai. L'Etat des choses n'est pas gai. Non seulement pas gai, mais pendant bien les trois-quarts de son déroulement il ne s'y passe à peu prés rien: un tournage en panne au bord de l'Atlantique, non loin de Sintra, de Lisbonne, un producteur disparu dont l'équipe attend, dans un marasme général, l'improbable retour (le nom du producteur en question, Gordon, a une inquiétante assonance beckettienne), tel est en gros l'état de la fiction, jusqu'à ce que le metteur en scène, Friedrich, se décide à aller voir de l'autre côté de l'Atlantique, à L.A., ce qui se passe.

Comme les imagens, signées Alekan, ne manquent pas de beauté ni les cadrages de virtuosité et que parfois un mouvement, une émotion, un frémissement passent imprévisiblement, tels Alice devant la Torture nous attendons patiemment.

Parfois, un événement infime, ou étrange, ou pathétique, ravive l'attention: un morceau de bois de forme vaguement humaine projeté à travers une vitre, la nouvelle plus ou moins attendue de la mort de la femme du directeur de la photo (Samuel Fuller), le retour de celui-ci à L.A. après une cuite dans un bar de Lisbonne... Une chose en outre nous intrigue: le film est entièrement en noir et blanc. Nous aimons le noir et blanc, or pour une fois l'emploi nous en paraît ici peu nécessaire, étrange et arbitraire. Que le fim-dans-le-film, The Survivors, soit en noir et blanc, pour le peu qu'on en voit et qui nous suffit d'ailleurs, cela se conçoit; mais que tout le film l soit, alors que le Sud, l'Océan, Sintra, nous paraissent plutôt appeler la couleur, on se sent vaguement frustré. On se souvient alors - si on est au courant - que Wenders avait souhaité, a-t-on dit, tourner Hammett en noir et blanc, désir plus logique s'agissant d'un thriller évoquant l'avant-guerre (s'il est un genre que bénéficie du noir et blanc et auquel la couleur convient rarement, c'est le thriller). Coppola, paraît-il, s'y était opposé, ou les Studios. Ce fut peut-être la première d'une série d'avanies, d'impossibilités et de pannes de tournage d'une durée de plus de quatre années, avec le résultat inégal (pour le moins, à mons sens) et en tout cas discuté que l'on sait. Comme par hasard, le-film-dans-le-film, The Survivors, le film en panne, est censé être le remake d'un film de Dwan (The Most Dangerous Man Alive, 1961). Comme par hasard, le metteur en scène, incarné par Patrick Bauchau, est censé être à demi Allemand et se prénomme Friedrich; c'est selon son voeu explicite que The Survivors, avant d'être brutalement et inexplicablement interrompu par la disparition du producteur Gordon, a commencé d'être tourné en noir et blanc. On soupçonne ainsi que ce double tournage en noir et blanc - celui du film et celui du film-dans-le-film - représente une sorte de revanche de la part de Wenders sur l'impossibilité recontrée en Californie, à Zoetrope, de tourner Hammett autrement qu'en couleurs. Eh bien, pas du tout. Il n'y a rien là d'anecdotique. La question, le choix du noir et blanc, est en réalité le coeur même du propos de Wenders. La raison d'être et la structure même de la fiction ne tiennent à rien d'autre. En un mot, le noir et blanc est proprement le MacGuffin de L'Etat des choses. Il faut pour le comprendre avoir la patience d'Alice face à la Tortue: nous sommes en effet, Wenders peut en témoigner, à l'ére du cinéma « fantaisie » (Lucas-Spielberg-Coppola); autrefois, lâche dans le dernier quart d'heure du film, par le truchement du fuyant Gordon, Wenders, autrefois, on faisait du vrai cinéma - autrefois, il était possible de tourner en noir et blanc. Aujourd'hui, impossible. Et Friedrich que s'y est risqué, et Gordon qui l'a laissé faire à saguise, vont carrément le payer de leur vie.

Comment est-ce possible? La fiction de L'Etat des choses ne tient, redisons-le, qu'à un mystère ténu, celui de la disparition du producteur retourné au Nouveau Monde, à L.A. Friedrich finit par s'y rendre à son tour pour savoir de quoi il retourne. Gordon est son ami, il lui doit, à tout le moins, une explication. Il mène son enquête et saura la vérité. Le film a été interrompu, le producteur a disparu, parce que le film était en noir et blanc. L'idée est plus qu'astucieuse, presque géniale, en tout cas vertigineuse.

Au cours de son enquête, où il apprend que les fonds qui ont servi à financer The Survivors sont d'origine équivoque, Friedrich retrouve un peu par hasard Gordon qui se cache dons une vaste roulotte itinérante, pilotée por un chauffeur-garde-du-corps, pour dépister les tueurs lancés à ses trousses. Pourquoi des tueurs aux trousses de Gordon? Parce que le film était en noir et blanc. Vous ne comprenez pas? C'est que vous ne connaissez pas la Californie. L'Etat des choses est à peine une fable, à peine un message désabusé sur « l'état des choses ». A peu d'éléments prés, l'histoire pourrait bien être réele. (Elle est, d'ailleurs, manifestement à clé).

De quoi s'agit-il? Les bailleurs de fonds, bien sûr, sont des gangsters, c'est l'inusable Mafia. The Survivors a été financé, ou a commencé d'être financé (puisqu'on a dû supporter sa panne pendant pas loin d'une heure et demie sur deux) par de l'argent « blanchi ». Autrement dit de l'argent de provenance crapuleuse, drogue, prostitution... On sait que l'argent sale de la Mafia est généralement reconverti dans les entreprises légales, immobilier ou cinéma, ce qu'on appelle le blanchir. Cela ne veut pas dire qu'il no doit pas rapporter. Or le caprice, ou le sourci artistique de Friedrich (alter ego de Wenders), celui de tourner en noir et blanc, rend tout bêtement le film inexploitable, invendable (ne serait-ce qu'aux chaînes de télévision, aux câbles, etc.). C'est donc de l'argent foutu. Donc le responsable de la gestion de l'enterprise doit être abattu, nommément Gordon. Telle est, du moins, l'une des interprétations possibles du récit que celui-ci, dans la roulotte en marche, fait à Friedrich, dans une scène d'ailleurs fort belle (et qui emporte le morceau) d'amitié virile éthylique, hollywodienne et sentimentalement désesperée. L'explication repose sur un syllogisme implicite, un enthymème, qui est au fond le mode de raisonnement des gangsters, leur logique stupide et implacable.

L'innocence de l'artiste, semble ainsi vouloir dire Wenders, c'est de ne rien vouloir savoir de cette logique meurtriére, qui en dernière analyse est celle de l'argent. Il est donc condamné, toujours nécessairement condamné. Dans l'ultime scène du film, Gordon et Friedrich descendent de la roulotte pour se donner l'accolade de l'adieu. La balle des tueurs frappe Gordon dans le dos alors qu'il étreint, littéralement dans les bras de son ami, son double, son frére, Friedrich. Friedrich le voit tomber à ses pieds et, armé seulement d'une caméra 8 mm, il la braque devant lui, en un vertigineux panoramique subjectif, sur la perspective mouvante et vide de l'avenue hollywodienne où passent d'aveugles voitures. Une seconde balle, tirée de nulle part, l'abat à son tour. Il tombe sans lâcher la caméra, et l'image se renverse, - tandis que dans l'avenue une voiture fait brutalment demi-tour dans un crissement de pneus - puis elle se fige.

L'Etat des choses, sans doute, est non seulement un filme « à clé », mais un film symbolique. Sans doute exige-t-il du spectateur qu'il s'intéresse d'un peu prés à « l'état des choses » dans le cinéma actuel, et plus particulièrement à l'état de Wim Wenders à l'époque du tournage rapide de ce film (peu avant d'achever Hammett) - pas gai, s'il le fut jamais. En un mot, c'est un film narcissique. Reste qu'il touche, sensiblement, et jusque dans la virtuosité extrême des cadrages, un art baroque du plan (effet de miroirs, de vitres, de rétroviseurs qui se souviennent peut-être de Welles, surtout dans la partie californienne), à un point de réel du cinéma: ce par quoi celui-ci, obstinément, est un art, et en tant qu'il témoigne (c'est se qu'indique sèchement le titre du film).

Sans l'Etat des choses, Hammett est incomplet et vice-versa. Les deux films forment les deux volets d'un diptyque et ce diptyque témoigne, décrit deux fois un martyre. Le martyre classique (ou « post-moderne ») du personagge Hammett ne prend son vrai sens qu'en regard du chemin de croix du personnage Friedrich, qui accomplit le trajet inverse: le premier sort du monde des tueurs pour aller vers celui de l'art, le second sort du monde de l'art pour aller à la rencontre des tueurs. Entre les deux volets inclinés en miroirs de ce diptyque, j'imagine ainsi Wenders contemplant son image redupliquée à l'infini, comme dans le plan final d'All About Eve; mais ce reflet démultiplié ne lui renvoie aucune anticipation de triomphe et de jouissance, mais seulement une interrogation blème et inquiète.

- Que signifie être un « survivant »? Cette question est apparemment la sienne. Elle le mènera bien quelque part.

« Ces paroles furent suivies d'un très long silence, rompu seulement de temps à autre par un « hjchrrh! » poussé par le Griffon, et par les songs sanglots incessants de la Tortue « fantaisie ». Alice était sur le point de se lever et de dire: « Merci, madame, de m'avoir raconté votre histoire si intéressant »; mais elle ne pouvait s'empêcher de penser que la Tortue avait sûrement encore quelque chose à dire. Elle resta donc assise, immobile et sans souffler mot. » (1)

(1) Lewis Carroll, « Les Aventures d'Alice au Pays des Merveilles », trad. Henri Parisot (Aubier-Flammarion).

(Cahiers du cinéma n° 340, octobre 1982)

quinta-feira, 4 de outubro de 2007

O filme histórico e a noção de espetáculo

« ... S'il y a une formule DeMille dans les films historiques qui débutèrent avec Joan the Woman, elle est très simple: raconter une passionante histoire personelle sur la toile de fond de grands evénements historiques. L'intrigue confère à ces événements un sens plus vivant que ce que la plupart des spectateurs ont trouvé dans leurs manuels d'histoire. Et la toile de fond historique élargit la signification de l'intrigue personelle, en même temps qu'elle permet d'utiliser les pleines ressources de la caméra en matière de spectacle. Mais c'est l'intrigue qui compte le plus. La construction dramatique constitue la charpente d'acier qui soutient l'édifice. Tout le reste - spectacle, vedettes, effets spéciaux, costumes, musique - est ornement. »

quarta-feira, 3 de outubro de 2007

« ... Vive Preminger, qui sait qu'il n'est ni un penseur, ni un réformateur du monde, mais simplement un parfait metteur en scène, que dans ce mot il y a scène, et pourquoi le théatre serait-il pour nous matière [non] cinématographique? »

Jacques Rivette, « En attendant les Godons », Cahiers du Cinéma, n° 73, julho 1957, p. 39

terça-feira, 2 de outubro de 2007

Meu herói

"Mathilda est exceptionnelle! Et puis elle fait tellement cochon!" ("cochon" is an old-fashioned adjective Chabrol likes to use to mean "sexy, smutty, libidinous" and things of that nature).

RETROSPECTIVE DONSKOI

Le cinéma de Marc Donskoi - tel que nous l'a révélé l'hommage que lui a consacré la Cinémathèque française - nous frappe par un singulier amour de la vie. Cette tendresse un peu émue, cet attachement envers tout ce qui naît, cette prédilection pour les enfants; voilà qui ne nous éloigne guère des poncifs du cinéma soviétique et Donskoi ne nous serait rien si, pour lui comme pour les grands, la cruauté n'était la condition de cette tendresse, l'étouffement le lot de la vie et la tragédie l'exigence du bonheur, quand bien même il y faudrait mettre le prix de sa vie.

Parce qu'il croit à l'éclosion finale de la vie, Donskoi s'est attaché à tout ce qui la bride et l'étouffe. L'existence, fébrile et précaire, toujours menacée, saisie sur le visage incompréhensif des enfants, nous mène plus près de Griffith que des autres cinéastes russes. Il y a là une volonté de peindre cette éclosion par tout ce qui la contrarie ou la retarde - et, par là-même, lui donne du poids: la contrainte politique (La Mère, 1955), la description d'un monde étouffant (la trilogie d'après Gorki, 1938-39), la chronique d'un village martyr (L'Arc-en-ciel, 1943), et jusqu'à la légende malheureuse des amants séparés, lorsqu'à l'injustice des hommes se joint celle du hasard (Le Cheval qui pleure, 1958). Thématique commune à tous les films, mais surtout préoccupation majeure du cinéaste: c'est lorsqu'elles sont perdues ou encore à conquerir que les choses existent vraiment: ainsi, le bonheur.

Une même intention préside à la forme des films. Si seule la contrainte donne du prix à l'épanouissement, seule la discontinuité sera promesse d'équilibre. D'où un art qui nous frappe par sa modernité: fondé sur les oppositions, ruptures de ton, complexités de construction et à propos duquel il n'est pas déplacé de parler de musique. Le cinéaste allant jusqu'à ponctuer ses films de rimes intérieures, mouvements de caméra, ne répondant à aucune nécessité si ce n'est celle d'instaurer un réseau de correspondances tout musicales (La Mère). Un art dont l'aboutissement, passées les cassures et les discordances, est une note, une mélodie, dans tous les cas un éclatement: le triomphe final de la vie: l'ultime chevauchée d'Et l'acier fut trempé, 1942, la pluie de tracts de La Mère, le combat libérateur qui clôt L'Arc-en-ciel.

Que ces partis pris se retournent parfois contre Donskoi, que, dans les moins bons films, l'étouffement débouche sur l'ennui, n'ôte rien au mérite du cinéaste, mais prouve seulement que chez lui, comme chez tous les cinéastes inspirés, la beauté semble toujours accordée « de surcroît », indépendamment des formules.

C'est donc entre l'élégie et la cruauté, entre Le Cheval qui pleure et L'Arc-en-ciel, qu'il faut placer Marc Donskoi, s'il est vrai, selon les paroles du cinéaste, qu'il faut savoir haïr pour pouvoir aimer.

Serge DANEY.

Cahiers du Cinéma nº 154, abril 1964, pp. 52

segunda-feira, 1 de outubro de 2007

« ... DeMille exploita pleinement une idée qui lui était chère, celle du "télescopage historique". Il pensait que dans la construction d’un film historique, ce n’est pas l’exactitude de la chronologie qui importe, mais la signification des évènements. Dans la main du dramaturge, l’Histoire n’est pas une fin en soi, mais seulement le plus solide, le plus concret des matériaux. »

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